Javier Milei en défense du capitalisme et de la propriété privée. Par Julio Gambina.

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L’auteur, Julio Gambina, professeur d’économie mondiale à l’Université de Buenos Aires, retraité et vice-président de la Commission d’Études de l’UIS (Union Internationale des Syndicats)  des Pensionnés et Retraités de la FSM (Fédération Syndicale Mondiale), considère que le dernier livre du Président est « un pamphlet de 375 pages avec de très nombreuses répétitions », qui promeut le capitalisme et constitue « une critique féroce du socialisme », et montre que l’auteur n’a rien d’un expert quant aux sujets  qu’il traite et n’est qu’un vulgarisateur libertarien d’ultradroite.

«Capitalisme, Socialisme et le piège néoclassique», le nouveau livre de Javier Milei | AFP

Je n’avais jamais lu un livre ou des articles de Milei et note qu’il en a publié beaucoup, plusieurs d’entre eux dénoncés pour plagiat. Encore aujourd’hui, la maison d’édition Planeta a retiré un de ces livres de la circulation en Espagne parce qu’il comportait une fausse biographie, où il était dit qu’il avait obtenu un doctorat à l’UBA.Aucune maison d’édition ne publie les informations figurant dans une publication sans que l’auteur ne les ait vérifiées. Nous supposons donc qu’il ne s’agit pas d’une « erreur d’impression ». 

A dire vrai, Milei n’a reçu de doctorat d’aucune université, ni publique ni privée, mais seulement un « honoris causa » de l’Institut Universitaire ESEADE, un établissement de culture libérale où il n’existe aucune pluralité idéologique ou théorique, où seul  le libéralisme prévaut. 

Enfin, nous allons analyser un livre d’un personnage très contesté pour ses pratiques littéraires et plus encore.  Je ne me suis intéressé aux discours et écrits de Javier Milei que depuis qu’il a fait irruption en politique en tant que législateur national en 2021 et bien plus encore depuis son accession à la présidence en décembre 2023.

Les autoritaristes n’aiment pas cela

La pratique d’un journalisme professionnel et critique est un pilier fondamental de la démocratie. C’est pourquoi il dérange ceux qui se croient les détenteurs de la vérité.

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Arrivé en Espagne, Javier Milei  crée des tensions avec le gouvernement espagnol.

En effet, le livre présenté publiquement rassemble les principaux discours prononcés dans le pays et à l’étranger durant son court mandat, précédé de son discours de réception de l’honoris causa de l’université libérale, en décembre 2022. Les propos préliminaires sont datés d’Olivos, la résidence présidentielle, en avril 2024. Rien de bien nouveau, pour le moment, dans la pensée de l’auteur que nous commentons.

Il s’agit d’un pamphlet de 375 pages avec de nombreuses redites, dont certaines sont pratiquement copiées et d’autres à peine plus nuancées d’un article à l’autre, ce qui alourdit inutilement le volume. Les articles sont des discours lus opportunément ou des écrits préparés à cet effet, dans lesquels se retrouve non seulement la ligne argumentaire essentielle, à savoir, soutien et promotion du capitalisme et critique impitoyable du socialisme, mais aussi la réitération d’exemples qui circulent d’un discours à l’autre à vocation répétitive.

 Influence libertarienne

Le livre permet d’identifier la trajectoire de la formation professionnelle de Milei et sa découverte vers 2014 de  l’œuvre de Murray Rothbard, en particulier Monopole et concurrence, d’où, dit-il, il tirera ses convictions pour une prédication obtiendra ses convictions pour une prédication sans réserve de la défense de l’action monopolistique, en affirmant le caractère héroïque des entrepreneurs qui accède à la domination du marché grâce à l’effet de la concurrence.

En général, très peu de gens connaissent le professeur dont s’inspire Milei, une figure de l’ultradroite américaine, avec des liens antisémites, un négationniste de l’Holocauste et en relation avec des groupes prônant le racisme et la discrimination, tel que le Ku Klux Klan. 

Rothbard, décédé en 1995, est le fondateur du parti libertarien aux États-Unis et le père d’une des propositions de la campagne électorale relative au droit des parents à se détourner de leurs enfants, voire à les inclure dans la sphère commerciale, pour ne citer qu’une des propositions grotesques du théoricien libertaire qui inspire le président de l’Argentine.

La réalité est que Rothbard s’inscrit dans un cheminement intellectuel associé aux conceptions réactionnaires de la tradition de l’école autrichienne d’économie, la SEA, et surtout de ses référents, parmi lesquels Milei mentionne Ludwig von Mises (1881-1973) et Friedrich von Hayek (1899-1992).Tous deux ont été d’ardents défenseurs du conservatisme à la fin de l’empire austro-hongrois, au terme de la Première Guerre mondiale. Dans la Vienne socialiste des années 1920, ces figures de proue de la SEA seront des ennemis acharnés, défenseurs du conservatisme de l’empire défunt.

En Espagne, un livre de Javier Milei a été publié avec des références universitaires fausses apparaissant sur le quatrième de couverture.

 Il convient de mentionner que ce sont ces antécédents intellectuels qui feront que Hayek sera convoqué à Cambridge au début des années 1930 pour se confronter à la nouveauté du développement naissant de l’influence de John Maynard Keynes (1883-1946) en Grande-Bretagne. 

Rappelons que Hayek, prix Nobel en 1974, a écrit en 1944 La route de la servitude, dans laquelle la thèse principale est que le cours de la politique économique hégémonique dans le système mondial conduit au socialisme, attribué au sort des politiques d’aide sociale en vogue à la fin de la Seconde Guerre mondiale. 

Mises et Hayek sont les porte-drapeaux de la prédication contre le socialisme, non pas tant en considération de Marx et de sa tradition postérieure à l’ère des révolutions depuis octobre 1917, mais et surtout contre Keynes et le keynésianisme régnant depuis le milieu des années 1940, qui perdurera jusqu’à l’émergence du néolibéralisme instauré à la sortie de la crise capitaliste des années 1960/70. Un néolibéralisme esquissé en tant que projet au Mont Pèlerin, en Suisse, en 1947.

Milei dans la tradition “quantitative”

Dans son discours de décembre 2022 à l’ESEADE, Milei décrit sa lecture d’un « arbre généalogique » de la pensée économique, tiré d’un texte d’Axel Leijonhufvub, qui curieusement n’est pas cité comme le serait un texte universitaire, pour autant que l’on imagine l’auteur comme un universitaire, alors qu’à proprement parler, il n’est guère plus qu’un propagandiste libertaire de l’ultradroite.  

Cet « arbre généalogique “ est important car il lui permet de séparer l’EAE de la tradition néoclassique et, à partir de là, d’esquisser la critique qu’il désigne dans le sous-titre de son ouvrage par l’expression ” le piège néoclassique ». 

Leijonhufvud tire de la théorie quantitative une branche qui mène à Irving Fisher (1867-1947), qui systématise la théorie quantitative formulée au XVIe siècle, et enfin à Milton Friedman (1912-2006), lauréat du prix Nobel de la Banque de Suède en 1976 ; et une autre branche qui commence avec Knut Wicksell (1851-1926), avec des interprétations différentes de celles de Fischer.  

À partir de Wicksell, il déploie trois branches : l’école suédoise, l’école de Cambridge (comprenant Keynes et deux branches, dont l’une identifie les keynésiens « néoclassiques »), et la troisième, c’est-à-dire Mises et Hayek, la troisième génération d’Autrichiens.

Cette description des idées de « macroéconomie » laisse de côté l’évolution de la pensée de la critique de l’Économie Politique, c’est-à-dire Karl Marx (1818-1883) et sa tradition jusqu’à aujourd’hui. Une lecture différente de celle de Milei sur l’histoire de la pensée économique trouve le tournant précisément chez Marx, puisque l’école classique, systématisée depuis Adam Smith en 1776, se développera jusqu’à la critique de Marx, qui permet le tournant de l’évolution de la critique dans la tradition plurielle de Marx jusqu’à aujourd’hui, d’une part, et d’autre part, la dérive néoclassique, y compris Keynes et sa rupture épistémologique et son débat avec les monétaristes et les Autrichiens eux-mêmes.Cette description est même reprise dans les manuels d’enseignement traditionnels comme ceux de Paul Samuelson (1915-2009). 

Qui est Murray N. Rothbard, le dieu libertarien de Javier Milei ?

Dans ses discours et ses écrits, Milei cherche à dissocier EAE du courant dominant néoclassique et c’est pour cela que sa critique majeure du courant dominant du capitalisme contemporain s’appelle « le piège néoclassique », le sous-titre de son livre et de certains des écrits de cet ouvrage.Dans sa pratique politique quotidienne, il se heurte de plus en plus aux principaux acteurs « professionnels » qui appartiennent au courant dominant, il n’y a plus personne sans qu’il y ait affrontement, bien que de plus en plus isolé de ses partenaires idéologiques, il il se pose en croisé de la libéralisation à outrance.

 Défense du capitalisme

Les écrits ou discours font état d’une stratégie idéologique de défense de l’ordre capitaliste et donc de la propriété privée des moyens de production, de la liberté du marché et de la concentration monopolistique. L’hypothèse est que le courant dominant de la théorie et de la politique économiques, le courant « néoclassique », influence les décisions prises par les décideurs dans les principaux États du capitalisme d’aujourd’hui et le fait sur la base des « défaillances du marché », induisant ainsi l’intervention de l’État, une entrave dérivée de l’influence keynésienne sur la logique normative de l’économie mondiale contemporaine.  

D’où le titre, qui fait référence à la confrontation entre capitalisme et socialisme et au piège néoclassique.

Le titre est utilisé comme argument dans son discours à l’ESEADE de 2022 et dans plusieurs conférences ou articles inclus dans l’ouvrage que nous commentons. Il s’agit d’un argument constitutif de tous ses messages dans le pays et dans le monde, désormais plus opérant de par sa position institutionnelle en Argentine. J’insiste donc sur le fait qu’il ne faut pas sous-estimer Milei,  le propagandiste de la version ultra-droitière d’une stratégie imaginaire de défense et de relance du capitalisme face à la crise actuelle.

Sa vision du capitalisme se réfère à l’image du « tuyau », expliquant l’expansion de la production et la diminution de la pauvreté au sens historique grâce à l’ordre capitaliste. Bien entendu, il omet le processus violent et expropriatoire de l’accumulation originelle du capital, thème dominant du capitalisme.La découverte, la conquête et la colonisation de ce que nous appelons aujourd’hui l’Amérique, au prix d’un génocide, font partie du mécanisme de constitution des relations monétaires mercantiles qui organisent la société contemporaine, dans la région et dans le monde. Sans génocide et pillage, il n’y a pas de processus de révolution industrielle sur le territoire européen. La révolution des transports et des communications a favorisé le processus d’exploitation et de pillage, via la réduction en esclavage, pour l’émergence de la société capitaliste idyllique. 

Confirmation de la présentation par Milei de son nouvel ouvrage au Luna Park 

Milei explique la grande expansion productive des 250 dernières années à partir de graphiques d’estimations extrapolées de l’évolution économique et productive qui montrent une évolution gigantesque des biens de consommation, de la production et de la richesse. À proprement parler, la thèse qui a motivé la systématisation du nouveau temps historique sont les études économiques d’Adam Smith qui écrit sur l’origine de la richesse des nations. La recherche de Smith portait sur la richesse en tant que nouveauté civilisationnelle.Son approche l’a conduit à la théorie de la valeur, qui, pour Milei, est l’« erreur » de Smith. Milei ne retient que Smith parmi les classiques, niant sa contribution substantielle aux débats ultérieurs fondés sur la théorie de la valeur du travail, promue par David Ricardo (1772-1823). 

C’est Marx qui approfondira la loi de la valeur, notamment avec la spécificité de la « force de travail » en tant que marchandise qui génère une plus-value dans le processus de production, en formulant l’origine du surplus économique avec sa théorie de la plus-value. Avec Marx commence la critique de l’économie politique, qui renforcera son caractère apologétique du capitalisme, jusqu’à renoncer au nom pour devenir « économie » tout court, entre 1871 et 1890, se désengageant ainsi des questions sociales et déplaçant ses objectifs et ses motivations vers l’amélioration des profits des entreprises et la reproduction d’une logique naturalisée d’exploitation de la force de travail et de spoliation des biens communs. 

Ainsi, dans le texte de Milei,”l’employeur “ est toujours magnifié, et toute la logique de l’écriture vise à exalter le sujet  ” “employeur”, jamais le sujet “ travailleur”.

Critique de la critique

La confrontation à la critique de Marx marque le début du courant néoclassique avec toutes les nuances jusqu’à nos jours. Ce sont les Autrichiens qui, en 1871, commencent cette dérive, avec Carl Menger (1840-1921) en 1871, quelques années après la publication du Tome I du Capital (1867) et jusqu’en 1890 avec Alfred Marshall (1842-1924) et son identification de la discipline sous l’appellation répandue aujourd’hui d’ «Économie».

Lorsque Friedrich Engels fait paraître les Tomes II et III du Capital, à partir des brouillons de Marx, un Autrichien, Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914) critique vivement les contradictions de ces volumes avec le Volume I, arguant même que Marx ne les avait pas publiés de son vivant en raison des contradictions connues sous le nom de « problèmes de la transformation des valeurs en prix », une polémique qui a impliqué les marxistes depuis lors jusqu’à aujourd’hui.

Qui était John Maynard Keynes, l’ennemi des libertariens ?

 C’est de là que Milei disqualifie Marx en quelques lignes, répétant que les apports de Marx correspondent à Johann Rodbertus (1805-1875) et ses œuvres des 30 et 40 du XVIIIe siècle. Engels répond à Rodbertus, qui accusait Marx de plagiat. C’est une longue réponse dans le préambule de l’édition du tome II en 1885, où Engels fait remarquer que les antécédents de la plus-value sont déjà chez Smith et Ricardo, que Rodbertus ne va pas plus loin qu’eux, mais que l’importance des études de Marx a permis de progresser dans la construction de la théorie (marxiste) de la valeur, et plus précisément dans la définition de la marchandise « force de travail » et du rapport marchandise-argent et de la transformation de l’argent en capital, dans un parcours conceptuel des catégories qui sont déployées dans le tome I.Dans ce préambule préfigure l’achèvement de l’élaboration complexe de Marx avec la publication du tome III paru en 1894, donnant dans son intégralité le processus de production et de circulation du capital avec la définition du taux de profit moyen. 

Bien sûr, demander à Milei d’étudier Marx, c’est beaucoup et cela ne fait que répéter une vieille polémique entre Engels et Rodbertus.

Milei fait partie de la critique de la critique et c’est pour cela qu’il argumente à partir de l’Economie et ne revendique qu’à peine Smith et sa “ main invisible”, pas la théorie de la valeur du travail, une des bases fondamentales du débat théorique, même avec la critique néo classique de la mutation de la valeur objective à la valeur subjective, aux préférences des consommateurs, aux employeurs et jamais aux travailleurs.

Il fallait le lire

Certains collègues et amis m’ont dit que je perdais mon temps à lire ce pamphlet qui, dès la couverture, oppose, sans préciser de quelles villes il s’agit, mais que l’on imagine. D’un côté, l’urbanisme artificiel des villes modernes d’un capitalisme tape à l’œil, de l’autre l’urbanisation dégradée résultant des sanctions unilatérales et du boycott génocidaire de l’avant-garde de l’impérialisme.

.La photo de la couverture présente la pose d’un penseur qui, jusqu’à présent, se distingue plus comme un commentateur de télévision, un animateur de réseaux sociaux qui a suscité une grande illusion sociale afin d’accéder à la première magistrature en Argentine et de propager, à partir de là, des “idées fortes” de libertarianisme, très éloignées des conceptions de la liberté en tant qu’aspiration sociale pour la lutte en faveur de l’égalité et de l’émancipation sociale. 

Ce n’est pas un problème mineur, car il est toujours en campagne, locale et mondiale, ce qui le différencie des autres droitistes, qui, avec les conservateurs et les adeptes de la restauration conservatrice, se présentent comme «nationalistes», comme c’est le cas pour Trump, Bolsonaro ou Meloni, Le Pen et d’autres. 

Javier Milei : « Ils ont demandé au gouvernement 300 millions de dollars pour être présents au Salon du livre ».

Nulle part dans le livre, ni dans sa pratique politique, n’émerge un quelconque soupçon de nationalisme. Sa prédication est universelle dans la défense de la domination du capital et de celle des monopoles sur le marché et l’État. C’est pourquoi, parallèlement à la libéralisation dans l’intérêt du capital, il préconise la nécessité d’un État fort pour assurer la répression des revendications portées dans les conflits sociaux en vue d’améliorer les conditions de vie des classes défavorisées.

Il n’est pas nécessaire de lire le livre pour connaître l’avancée de l’ultra-droite que Milei et son équipe propagent afin de restructurer le capitalisme local de manière régressive. Il le soutient comme un exemple de ce qu’il imagine pour surmonter la crise mondiale contemporaine, qui s’exprime depuis 2007/09 par une faible croissance. Comme il le raconte et l’écrit, sa spécialité, la promotion de la « croissance “, qui brille par son absence dans une récession brutale qui frappe les premier 6 mois de gouvernement, vise à résoudre la croissance de l’économie capitaliste mondiale, bien qu’en chemin, des millions de personnes soient laissées de côté, non seulement par la réflexion d’un scribe ou d’un baratineur, mais maintenant, par un personnage qui décide du destin d’un pays avec la prétention d’être un ” influenceur » dans la politique mondiale.

De plus en plus isolé, le résultat est profondément régressif et appauvrissant, créant un vide politique qui nécessite des alternatives allant à l’encontre de l’apologie du capitalisme et de la propriété privée prônée par Javier Milei dans son nouveau livre.


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